Mes vacances d'été s'étirent langoureusement, à l'ombre du tilleul où les cigales ont déjà élu domicile. Les premières chaleurs m'invitent à faire une entorse à mon régime, après celle que j'avais infligée à mon genou ! Un petit pastaga. Il est midi ce dimanche et les glaçons carillonnent dans le verre. Une gorgée, puis une autre ….
– o … cour ….
Un impression, une sensation. Rien d'autre et pourtant le regard de mon oncle et le mien se croisent. On a eu la même impression, la même sensation ….
– O … COUR ….
Là c'est déjà plus net. Mais le doute subsiste. Nous avançons vers la colline, les yeux scrutant la crête.
– AU SECOURS
Cette fois ci, plus de doute. Il y a bien quelqu'un qui appelle à l'aide, quelque part sur la colline.
Je m'approche davantage en essayant de prendre contact. Plus rien. Et si il s'agissait d'un plaisantin ? Mettre autre chose que ces sabots, récupérer mon téléphone, et c'est parti pour une séance de marche commando à travers les argevelles les genets et les buis, à raconter ma montée impossible au régulateur du SAMU, en appelant pour tenter de localiser une victime pour l'instant invisible et en serrant les dents pour ne pas trop penser à mon genou.
–JE SUIS SUR LA ROUTE DE BALAZUC
Mais y'a pas d'route là haut ???
–JE SUIS BLOQUÉ SOUS LE QUAD
Ah, bin on avance !!!
Finalement, entre deux souffles courts, je comprends que notre imprudent n'est pas loin du GR de pays qui passe en crête, sans pouvoir bouger, mais sans hémorragie apparente pour l'instant. Le régulateur me propose de raccrocher pour me laisser monter tranquillement et de me recontacter plus tard.
Boudiou que ça grimpe.
Vu d'en bas, sur la chaise, devant un verre, ça semblait pourtant si facile !!
Je réussis enfin à apercevoir le blessé à travers une trouée dans les chênes. Je le rassure en lui précisant que les secours arrivaient et continus mon ascension vers mon Annapurna. Tant pis pour la ligne direct, le plus simple est de récupérer le sentier.
Encore un petit effort et le voila, assis quelques mètres en contre-bas d'un petit ravin, au pied des éboulis. Il est conscient et se protège le crane du soleil avec sa ceinture lombaire. Je m'approche avec précaution autant pour éviter que des pierres ne lui dégringolent dessus que pour ne pas prendre le quad sur le paletot !!! L'engin mécanique ne tenait en équilibre dans la pente que soutenu par un buis frêle.
L'homme est beaucoup plus âgé que l'idée que je m'en était faite. La soixantaine, grisonnant, le teint cireux malgré le soleil qui essaie de le faire rosir.Il a dû passer par differentes étapes d'angoisse à s'imaginer vivre ces dernières heures à griller en pleine nature. Il passe régulièrement sa langue sur ces lèvres pour tromper la soif. Arborant un tee-shirt jaune péchu, je me demande comment j'ai fait pour batailler à le voir. Il m'explique qu'il voulait faire demi tour devant la marche de 50cm du haut du sentier et, dans la manœuvre la machine c'est retournée, l'éjectant dans les pierres.
Le téléphone lui coupe la chique alors qu'il me le réclamait pour prévenir sa femme. Les pompiers réclament un radio-guidage pour accéder au site. Apparemment, eux et moi n'avons pas les mêmes repères sur le terrain. La seule certitude est sur l'approche : A pieds en plein cagnard !!!
Je profite de l'accalmie pour composer le numéro de téléphone de l'épouse de mon nouvel ami et lui laisse le soin d'enregistrer son message, madame étant absente.
Il commence à faire très chaud … et très soif !!! J'aurais dû prévoir. Au loin, des pin-pon rythment mes pensées. Nous voyons passer l'ambulance rouge et prendre la route de Balazuc. Elle semble s'arrêter vers le pylône électrique. J'essaie de trouver une position plus confortable à mon blessé. Rien n'y fait. Il préfère rester assis. Pour occuper les derniers instants de la montée des secours nous terminons notre petite discution de présentation. Monsieur, originaire de Saône et Loire est en vacances dans un camping tout proche. Et ça me suffit.
J'apperçois des uniformes bleus marines sur la crête opposée quand mon téléphone sonne de nouveau. A grand renfort de grandes gesticulations je guide leur regard vers notre position. Encore 10 bonnes minutes et j'entendrai leurs râles entre deux souffles salvateurs. Ils semblent vouloir dire qu'ils sont là, que tout va bien, qu'on est tous sauvé …. J'attendrai un peu avant d'en être sûr d'autant que le SMUR s'annonce et que si les pompiers sont entrainés pour les sorties champêtres, il n'en va pas de même pour mes prochains nouveaux amis. Ils semblent empêtrés en pleine garrigue. Je préfère me proposer pour aller les récupérer et les trainer sur le sentier.
Quel bel aréopage tout de blanc vêtu défilant dans la garrigue. On croirait des nymphes … Un médecin assez âgé, une infirmière en sueur et deux ambulanciers lancés loin de leur base à la conquête d'un sommet ardéchois. On arrive malgré tous à bon port. Le sauvetage continu sous les meilleurs hospices si j'ose dire !!!
Et les questionnements vont bon train …. hélitreuillage ou pas …. morphine ou pas …. matelas coquille ou pas …. ça fuse !!!
La maréchaussée s'annonce. J'aurais bientôt un magnifique dégradé de couleurs au niveau des uniformes. Les questions changent d'orientation …. "il peut souffler dans le ballon" …. "nom, prénom, adresse" ….
Encore une demi heure et mon accidenté, que tous veulent s'approprier, est enfin en sécurité sur le sentier, sur un plan dur et à l'ombre. Le reste de la patrouille continu à arriver, en age et à pied. Le petit chêne ne fournissant plus assez d'ombre pour tout le monde, on finira par me proposer de rentrer tranquillement finir mon pastaga en bas …. Tu parles, les glaçons ont dû fondre !!! Ne voulant pas faire le voyeur j'accède à leur demande …. et au chemin du retour.
Une heure plus tard, l'hélico débarquera 3 personnes du GRIMP07. Mon ancien ami partira vers d'autres cieux.
Mais moi, je m'en fous, ce matin j'ai sauvé une vie !!!
Puis les jours passèrent, puis les semaines aussi. Sauveur de vie c'est loin d'être un metier. Moi je suis juste infirmier libéral !!!
Je rentrais à peine de ma tournée du soir ce dimanche là, un dimanche comme un autre, une soirée comme une autre se préparait. La table même pas mise, le repas chaud bien au frais au frigo …..
Dring fait mon portable. Oh non, pas ressortir …. noooon, pas maintenant !!!
-Bonsoir, vous êtes Thierry ?
-Oui ….
-Je suis le monsieur qui a eu un accident devant chez vous.
-Euh …. devant chez moi ??? bin ….
-Oui, en quad !!!!
Nom de diou !!! IL est là, au bout du fil. Je vous passerai les détails de la conversation. Mon p'ti jardin secret. Mais dédiou que ça fait chaud au coeur et chair de poule aux bras toute cette histoire.
Pour résumer, il s'en sort plutôt bien. Fracture du bassin, 1 mois d'hospitalisation sur Lyon, puis rééducation. Il a retrouvé la liberté il y a quelques semaines. De retour en Ardèche pour le week end, il s'arrête à Uzer …. personne …. visite aux voisins qui donnent le numéro de téléphone de ma mère qui donnera mon numéro de portable ….
Il a promis de s'arrêter la prochaine fois. Il me doit bien une revanche, il m'avait fait rater l'apéro ce jour là !!!