Une rivière de passion.


La jeunesse est ponctuée de passions naissantes. Régulièrement l'adolescence y met sèchement un terme. Parfois, sans raison apparente, l'une d'elles passe au travers les mailles du filet pour devenir passion dévorante.

Mes souvenirs de pêche remontent à loin, à taquiner goujons, chevesnes, soufies ou ablettes. C’était déjà en Ardèche, durant les vacances estivales. Nous étions trois cousins peu scrupuleux des techniques, et très inventifs pourvu qu’il y ait des résultats. Nous partions fièrement, canne à la main, boite d'asticots dans le maillot de bain. Au début accompagnés de nos pères puis rapidement seuls. L’Ardèche n'était pas loin et nous savions nager. Que pouvait il donc nous arriver. C'était l'époque où l'Ardèche était encore peu fréquentée et voir un canoé descendre les secteurs amont de Ruoms était exceptionnel.
Avec les années, le lieu de villégiature s'éloigna de la "grosse" rivière. Nous devenions dépendants de nos parents pour courir les berges. Les parties de pêche s'espacèrent. Agrémenter l’apéro en friture nous parut rapidement d’un moindre intérêt.
Le ruisseau passant au bas de la maison nous fit découvrir un autre poisson. La truite y était encore bien présente quand nos petites mains se posèrent sur elles. Ainsi va la jeunesse, prête à toutes les expérimentations pourvues qu’elles soient prohibées. Nous redevenions libres de pêcher quand bon nous semblait. Nos rencontres avec les goujons, truites mais aussi couleuvres et crapauds nous comblaient d'adrénaline. Un guetteur, deux pêcheurs. Notre numéro était bien rodé. Jusqu’à un certain semi marathon contre les gardes. Notre bonne connaissance du terrain et la forme physique due à la jeunesse nous donnèrent de l'avance. Nous sortîmes vainqueurs de cette épreuve mais malgré tout vaccinés. Ce ruisseau devait sortir de notre champ d’action autant que certaines techniques interdites. 

La cour de la maison familiale nous offrait une vue envoutante sur le massif du Tanargue. Et des envies d’ailleurs. Malgré tout il nous fallut encore patienter jusqu'à notre majorité pour programmer nos premières vraies virées de pêche. Le permis de conduire dans une poche, le permis de pêche dans l’autre, voilà à quoi se résumaient nos premiers sentiments de liberté !!!

La direction était toute trouvée. Là bas, vers la montagne. Mais les vallées successives nous semblaient toujours trop proches de la maison. Nous étions attirés par les sommets comme l’aiguille des boussoles par le nord magnétique. Le regard rivait vers les cimes à traquer les premières cascadettes. La truite étant le poisson des torrents de montagne, l’équation était simple et sans aucune inconnue. Toujours plus haut !!!

La première rencontre avec LA RIVIÈRE fut un bouleversement. La quête du "toujours plus loin des routes" nous mena au bout d’un sentier herbeux jusqu’au bord du ru. Mais ce qui semblait être une victoire à nos yeux n’était que le début d’un long apprentissage ponctuait de défaites. Qu’elle était loin la facilité oisive de la pêche au bouchon. Les truites se moquaient de nos vers tout autant que de nous. Et il n’était pas simple d’expliquer à nos parents que si nos besaces étaient vides nos yeux étaient remplis de truites grosses comme le bras, même si nous avions encore de petits bras frêles …
Et pourtant à chaque nouvelle partie de pêche la défaite devenait moins cuisante. Une truite qui tape l’appât, une autre qui se décroche et enfin la première prise, la première quiole !!!
Succomber à la tentation de la rapporter à la maison alors qu’elle faisant largement moins que la maille nous traversa bien évidement l’esprit (et nous le traverserait bien souvent par la suite sans aucune forme de remord). Mais ce jour là, sans doute les douleurs persistantes de la course poursuite avec les gardes encore dans nos esprits, la truite fut relâchée. Une première prise de conscience diraient certains, mais nous étions bien loin de ces considérations à cette époque.

Un été nous suffit à apprendre la rivière. Chaque roche, chaque courant … Dans les revues ils parlaient du sens de l'eau !!! Comme si il y avait un autre sens que de l'amont vers l'aval !!!

Puis un autre à apprendre le poisson. Les bons jours, les bonnes heures, la bonne météo …

Une passion naissait.

Puis la vie nous éloigna de ces instants magiques. Ainsi va l’existence.

Mais la rivière était toujours en place, au fond de la vallée, endormie à m’attendre. Elle en était certaine : Un jour ou l’autre j'y reviendrai …

Tant d'années si loin de ma rivière … Qu'il en était passé de l'eau sous mon pont. J'avais vécu mon histoire et la rivière avait suivi son cours. Il en va de la vie comme des mathématiques : deux histoires parallèles se rejoignent toujours à l'infini.
Et le chat retrouve toujours sa couche.
Telle la Pomponette du boulanger de Pagnol !!!

J'avais quitté l'adolescence pour entamer la longue traversée de l'age de raison. Le retour à la rivière ne fut pas une évidence. La pêche au toc me semblait d'une autre époque. La découverte "d'une autre pêche" raviva quelque peu la passion. La technique "Sempé" permettait de pêcher plus propre, plus fin. Je lui dois mes premières truites relâchées sans dégât.

Mais du haut de mon pont je rêvais d'autre chose. Des images d'arabesques dans un air constellé d'éclosions d'insectes. Des images de grands espaces aussi. Dommage collatéral d'un film devenu culte.

Et du haut de mon pont il en manquait de l'espace … En Cévennes les vallées sont étroites. D'ailleurs y avait il des insectes dans ma rivière ? … et des gobages ? Tout ça me semblait si improbable.

Et du haut de mon pont j'ai commencé à observer la rivière. Je n'ai pas vu grand chose au début. Malgré tout j'ai acheté ma première canne à mouche. Je ne la sortais pas à chaque fois. Si dure était cette technique. Mais le fait de la savoir à portée de main me rassurais.

Et du haut de mon pont les premiers insectes m'apparurent. Des trucs ressemblant à des papillons et d'autres aussi. Des éphémères et des moucherons. Dans les livres ils leurs donnaient des noms imprononçables. Moi, je m'en moquais, je n'avais pas prévu de les appeler par leur petit nom, je ne parle pas au bord de l'eau … ou du moins pas tout seul !!!

Puis du haut de mon pont j'ai enfin aperçu le premier gobage. La rivière changeait … ou était ce le pêcheur ? L'homme serait si sélectif qu'il ne s’embarrasse pas de ce qui lui semble inutile. Au point de m’apercevoir que même les grands espaces n'étaient plus nécessaires pour pêcher à la mouche. J'apprenais les arbres, les branches mortes et les gros rochers en même temps que les insectes, les mouches et les lancers …

Et du haut de mon pont, la rivière pris une autre dimension.Je l'arpentais à chaque fois toujours plus haut, toujours plus vite, à connaitre chaque pierre branlante, chaque cache, chaque truite …

Puis un jour, du haut de mon pont j’aperçus une voiture puis deux puis trois. Je connaissais suffisamment la vallée pour pouvoir réagir et monter plus haut. Mais de jours en jours, encore plus haut c'était aussi toujours plus petit …

Et j'ai tournais le dos à mon pont. Il était temps de fermer le grand livre de ma petite rivière et d'en débuter un autre. La mort dans l'âme je suis descendu jusqu'à la confluence.
"Il y aurait moins de monde … mais plus de chevesnes". Du moins je le pensais. Les certitudes d'un pêcheur nous font parfois passer à coté de belles parties de pêche.

La rivière était magnifique, minérale, sauvage.
Et les truites ??? Des grosses, des grasses.
Je rentrais dans la quatrième dimension. Et je découvrais de nouveaux secteurs, toujours plus difficiles, toujours plus isolés. Les pages du nouveau livre s'écrivaient posément.
J'affinais ma technique, je rallongeais ma pointe … Un Chat Noir commençait à hanter la rivière.

Il ne la quitterait plus.

D'année en année j'ai remonté ses berges. J'y ai appris beaucoup.

Une vie de pêcheur.

Écrite en tant d'années, lue en quelques minutes !!!

Certains jours, nostalgique, je retourne à ma rivière, à mes débuts. Et du haut de mon pont, parfois, j'y vois d'autres pêcheurs qui semblent remonter la rivière comme on s'engage sur un parcours initiatique. A regarder toujours devant, toujours plus loin. Ils ne connaissent pas la longueur du chemin mais ils semblent déterminés à aller jusqu'au bout.

Ils y arriveront … sans doute.

Et ce jour ils sauront revenir à leur point de départ … et du haut de leur pont ils auront le courage, après avoir scruté l'amont à regarder l'aval. Sans crainte …

 


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