L’envers du décors

L'histoire aurait pu commencer comme dans un épisode d'une vieille série télé des années 70 : les envahisseurs, avec David Vincent … celui qui les a rencontrés. Mais finalement tout fut simple comme un coup de fil d'Eric Ayglon des Pêcheurs Ardéchois …

 

Tu pourrais passer me voir ? J'ai un truc à te proposer …

Un truc ? Quel truc ? Il veut me proposer un abonnement à l'année aux Pêcheurs Ardéchois ? La recette secrète de la crique façon Monselgues ? Une sortie pêche sur le Chassezac, un coin encore plus secret que la dernière fois ? Il m'inquiète le bougre

– Oui, mais encore !!! Insistais-je

-Je préfère t'en parler …

-OK, je suis sur Uzer, je comptais pêcher la Drobie demain. Je monte après …

Pas tranquille Le Chat sur ce coup là. La partie de pêche ne fut finalement qu'un prétexte. Bonne, mauvaise, je n'en sais plus rien. Je ne suis même plus sûr d'avoir pêché la Drobie ce jour là … ni même pêché !!!

-Bon, alors ? C'est quoi ton plan ???

-La boite de prod qui a tourné à Monselgue l'année dernière voudrait remettre ça dans le coin, toujours pour Seasons. Ils cherchent des pêcheurs pour les guider …

-…

-T'en pense quoi ?

-Ils cherchent quoi ? Des pêcheurs ??? Ch'uis pas un pêcheur moi … je pêchouille pour me faire plaisir, pour être avec les copains …

-Ils recherchent un personnage, quelqu'un qui a une histoire, pas un technicien … Réfléchis, mais c'est une expérience sympa …

Bin merdalor !!! Un pêcheur à histoires ??? Pourquoi moi ? Pas envie de passer dans la télé moi !!!

Puis de fils de montage en aiguille de dubbing l'idée fit son chemin jusqu'à l'acceptation.
"Finalement nul besoin d'un ego surdimensionné pour céder aux sirènes de la gloire !!!" semblait me susurrer à l'oreille la petite voix suave …

Quelques temps après vint l'heure des premiers contacts. La rencontre du 1er type.
Par téléphone pour commencer. Ça ressemblait fort à un premier interview, le contenu ne me déplaisait pas, le courant passait …

Allez, je me lance !!!

Puis les premiers mails explicatifs, le synopsis …
"Le reportage mettra en valeur la beauté de l'Ardèche, de ses rivières, la passion de ses pêcheurs pour leurs racines, pour cette terre sauvage, avec des portraits croisés entre la pêche et le terroir. Le tout filmé avec un appareil reflex" … Je n'y étais qu'une petite pièce du puzzle et ça m'allait bien … D'autres séquences nous emmèneraient vers la Borne, l'Espezonnette ou la Loire avec d'autres pêcheurs, d'autres personnages, d'autres histoires …

Puis vint le temps du tournage. J'avais en tête le secteur où pêcher. Je l'avais reconnu une dernière fois quelques jours avant, avec une belle réussite.

La séquence dans laquelle j’apparaîtrai mettrait en valeur la vallée de la Beaume. La rivière, bien entendu mais aussi un vigneron au parcours particulier.
Charpentier reconverti en restaurateur qui reviendra au bâtiment et parallèlement cultivera une vigne au cépage interdit … le Jacquez. Un sacré personnage que j'avais croisé dans sa période restauration !!!

Ces 2 jours de tournage … furent comme d'habitude une véritable histoire vraie … totalement incroyable !!!

J'ai toujours eu l'habitude de ne jamais rien faire comme les autres. Non pas que je le fasse exprès ou que je force ma nature. Non, tout simplement le destin décide pour moi, à sa façon.

Participer à un tournage aurait pu se passer simplement, presque en douceur. On en aurait parlé à demi mot. Une simple anecdote.
Au lieu de ça ce fut une aventure, une succession de petites histoires …

Que les jours qui précédèrent ce tournage me semblèrent longs !!! J'avais donc reconnu le parcours de la séquence une semaine avant. Les truites y étaient, de ça j'en étais sûr. L'équipe de production m'avait contacté pour régler les derniers détails. Tout semblait prêt.
Mais là, on y était. Le jour J.
"Rendez vous au pied de mes vignes" Avez juste précisé Hervé GARNIER, le vigneron qui devait participer à l'interview.

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Drôle d'endroit pour une rencontre !!!
Comme à mon habitude j'étais en avance. Je connaissais le hameau. J'avais même connu Hervé 30 ans plus tôt. Il était au fourneau d'une auberge juste en face. La table était excellente et réputée. Ce fut une tête blanche bien loin de mes souvenirs qui depuis une auto d'un autre age m'accosta rapidement. Le bougre m'avait vu, perché la haut chez lui et m'avait rejoint rapidement, ne reconnaissant pas la voiture.

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-Vous êtes du tournage, me lança t-il.
-Oui, mais pas la production, je suis le pêcheur.
j'avais envie de rajouter "La vedette" mais je m'abstins, par modestie sans aucun doute !!!
Et nous voilà parti à refaire connaissance, à nous remémorer le bon vieux temps jadis, son restaurant, de l'autre coté de la Beaume. Visiblement les souvenirs réciproques étaient à sens unique, mais peu importe, pour moi nous nous connaissions, et de longue.

Didier et Antoine arrivèrent entre deux évocations du passé … L'un avait une formation de journaliste, l'autre était caméraman et tous deux n'avaient d'yeux que pour le magnifique paysage qu'offrait la vallée en ces derniers jours de juin.
Malgré l'heure matinale, les genets nous envoyaient déjà leurs douces senteurs printanières, les bergeronnettes voletaient au dessus des jardins sous l’œil bienveillant d'un milan noir qui planait haut dans le ciel. Seules les cigales manquaient encore au tableau, au grand désespoir de nos parisiens !!!

Les présentations allaient de nouveau bon train avant un rapide briefing sur la journée à venir.
On y était …
Je commençais à me déguiser en parfait pêcheur pendant qu'Antoine montait le matériel. De son coté Didier recadrait une dernière fois Hervé …

"On tourne"

Les séquences s'enchainaient rapidement dans les rangées. Hervé nous racontait sa vigne avec la passion des grands artistes. Une partie de sa vie défilait dans ses mains, à nous présenter des grappes encore rabougries mais qui donneraient, à n'en pas douter, un breuvage onctueux. Je participais, modestement, par des questions de béotien qui semblaient convenir à Didier. 

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En fin de matinée Antoine me fit monter et descendre les faïsses, ces terrasses en pierres sèches qui soutiennent le vignoble.
Les gros plan succédaient aux plans serrés puis les plans larges puis de nouveau les gros plans sur … mes vieilles pompes de wading plus que pourries qui, d’après Antoine, se seraient arrachées à prix d'or chez les meilleurs accessoiristes de studio. 
Après une douzaine d'aller retour je n'en pouvais plus. Mon genoux commençait à demander un temps mort quand Hervé commença à évoquer l'heure du repas. C'était le jour de fermeture du relais de Brison en bas du hameau, l'auberge des 2 Aygues, à quelques kilomètres de là n'ouvrirait que la semaine prochaine, quand au snack de la Croix de Rocles, il était fermé depuis la fin du weekend … Mes parisiens regrettaient déjà les difficultés de MacDo dans la pénétration de l'économie locale …
Ils ne le savaient pas encore, mais la malédiction du Chat Noir frapperait même à l'heure du repas !!!

Il fallait s'y résoudre, tout était fermé. Pas moyen de trouver un endroit pour manger. Finalement nous nous poserons sous l'abri de l'entrée de la poste à Rocles … La production avait vraiment bien fait les choses pour ce repas improvisé en mettant les petits plats dans les grands … Ils avaient juste oublié les plats !!!
Un sachet de chips, 4 abricots sans doute nés dans la Drôme et arrachés à leurs familles dés leur plus jeune age, le teint pâle, sans gout. Conduits de force à la Capitale en attendant la rançon ils furent relâché après un dernier voyage vers le sud dans le coffre d'un véhicule de location, toujours aussi pâles, toujours aussi fades…
Et une demie bouteille d'eau pour arroser tout ça.
Pour ma part j'avais prévu, au cas où, un saucisson, une boite de pâté, de vrais abricots fraichement cueillis … Frugal quoi !!!

Première séance de tournage. Je m'habillais. Ils avaient pris les devants en se mettant en position sur le pont de Pied de Bœuf. J'étais en train de me débattre à enfiler mes waders quand j'entendis crier Antoine. Il venait d’apercevoir un castor sous le pont et semblait radieux.
Je lus l’incompréhension sur son visage comme je bougonnai.
-Oui bin c'est pas avec ça qu'on va faire du poisson. Va falloir ruser pour lui passer devant sinon c'est pourri sur 100m !!!

Jamais je ne descendais là pour pêcher sous le pont. Mais entre la caméra en haut et le castor en bas, il fallait la jouer fine. Forcement ils eurent droit à ma première cascade avant le clap de début !!! Petite glissade de 5m sur les fesses agrémentée d'une belle estafilade au poignet …
Arrivé sur la berge je pris le temps de chercher la bête. Il était là, contre la pile du pont, en apnée … Je contournai au large pour ne pas l'effaroucher. La rivière était à moi.
La haut, ils étaient prêts.
-Vas y … avance … pêche … stoppe …

La communication n'était pas terrible. Le bruit du courant, l'écho du pont. Je décidai de le faire à ma façon, à l'inspiration.
Je décrochai mon premier poisson quand j'entendis crier Antoine.
-C'est bon, tu peux y aller … je suis prêt ! Reviens sous le pont.
– Tu l'as eu celle là ?
– … Quoi ?
– Non. Rien !!!

C'était pas gagné …

Si la deuxième prise me permit encore quelques montées, à partir de la quatrième je n'avais plus d'espoir …

Mais le castor était toujours là. Plusieurs fois j'avais vu quelques remous prés de la pile en me retournant et je ne pensais pas le revoir à mon retour. Pourtant arrivé à  une dizaine de mètres de lui il replongea. Je m'assis sur un rocher, tout prés, à l'observer et à attendre qu'il remonte respirer un coup. Cinq minutes plus tard il jouait toujours à Jacques Mayol !!! Je me décidai à reculer d'une douzaine de mètres pour le laisser souffler un peu. Il sortit les narines sans tarder. Antoine se décida à descendre pour filmer. Il m'obligea même à faire bouger la bête avec une grosse branche quand Hector, le castor, repiqua une tête. Ni lui ni moi ne trouvère ça marrant plus longtemps.

Clap de fin, on passe à autre chose …

D'interview en prises de vue en action de pêche, l’après midi passa rapidement … mais sans poisson !!!
-Mais pourquoi tu filme toujours de devant ? Tu fais fuir le poisson !!!
-je préfère, les images sont plus sympas …
-Ah !!! Et tu as de belles images dans la boite ??
-Excellentes …

Ça semblait être l'essentiel. Finalement ça m'allait bien aussi …


Hervé nous attendait, une bouteille à la main. Quelques mots échangés, quelque interview, quelques images encore, quelques verres aussi …

Demain serait un autre jour de pêche.

La levée du corps fut délicate. Mon genoux faisait une fixation sur les montées et descentes successives et répétées de la veille à travers les faïsses.  Comment lutter contre la mémoire sélective d'un genou, fusse t'il de droite ???

Dés l'aube, Hervé, qui en plus d'être vigneron avait son brevet de pilote d'ULM (oui, je sais, les deux activités ne sont pas incompatibles, mais tout de même … ) devait emmener Antoine voler sur les Monts d'Ardèche. Les prises aériennes s'annonçaient délicates au vue de la météo du matin, mais l'idée de les annuler ne fut même pas évoquée.

Je rejoignis Didier aux "chandelles". Un magnifique parcours plus que scabreux au milieu des gorges de La Beaume. Les fous volants devaient passer au dessus de nos têtes dans la matinée, la largeur et l'environnement minéral de cette partie des gorges nous laissaient entrevoir de belles images …
Didier semblait satisfait des prises de vue au milieu des grosses bombes de granit du parcours. Il me faisait raconter mes actions de pêche. j'inventais des ratés ou des décrochés. Je jouais le jeu avec amusement.
Je venais de m'installer en cul de fosse, sur un rocher surplombant le trou quand j'entendis les premiers vrombissements. Des images de film de guerre me revinrent en tête quand Didier partit se mettre à l’abri pour ne pas apparaitre dans le champ. On était en pleine alerte !!!
Tel un pantin, je m'efforçais de produire les plus belles arabesques avec ma soie. Au bout de quatre passages, l'ULM disparut plus au sud pour continuer son périple. Encore quelques plans avant de remonter. Nous avions enfin pu réserver une table à l'auberge. Midi n'était pas loin.

Antoine et Hervé arrivèrent pendant l'apéro. J'étais impatient de savoir si la séquence au dessus des gorges le satisfaisait. La réponse fut cinglante !!!

-Hein … mais on ne t'a pas vu !!!

– …

-Pourquoi tu nous as pas fait des signes ?

J'étais désespéré. Pendant tout le début du tournage il n’arrêtait pas de me répéter "Ne me regarde pas, fais comme si j'étais pas là … " et subitement il aurait fallut que je lui fasse signe alors que je m'étais évertué à pêcher le plus naturellement possible … et ce n'est pas une mince affaire !!!

-Il m'a bien semblé voir ta voiture sur le parking, mais toi … non. Renchérit Hervé tout mielleux.

Finalement je semblais être le plus déçu. Pas de quoi nous couper l’appétit malgré tout.

Les derniers moments de tournage approchaient. L'air était chaud, le soleil radieux. Trop beau pour la pêche mais la lumière était magnifique. Il faut avouer qu'on avait su éviter les heures du zénith en prenant notre temps à table …
Les baigneurs avaient pris possession des plus beaux gours, mais l’expérience d'Antoine lui permettait de trouver rapidement des angles pour les faire oublier.
Les couleurs du coup du soir apparaissaient lentement. Puis les premières émergences d'insectes. Pendant l'interview une mouche de mai me fit loucher. S'en était trop.

-Faut pêcher là. Y'a des insectes partout, ça commence à gober. On parlera plus tard …

-C'est toi l'boss Thierry. Pêche …

Ces dernières images feront parties de mes préférées. Belle lumière, des insectes et une prise en direct …

Le claquement sec du clap de fin me laissait l'impression de me sortir d'un rêve. Ce fut une belle expérience, même si, avec le recul j'aurais pu la jouer différemment … mais aprés visionnage  le résultat me plait.
J'aurais aimé vous présenter la séquence dans son intégralité, mais pour une question de droit … bref, voici un medley que j'ai mis en musique. On m'y voit sans doute trop, mais pour une fois que je me mets en scène … et l'extrait de 15mn où j'apparais : 
https://loeilduchatnoir.fr/blog/?p=148 

Bien entendu, et contrairement aux autres fichiers qui habituellement sont publiés sur mon blog …

 


 

 

 

 

 

 

 

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Commentaire

L’envers du décors — 14 commentaires

  1. Je viens de lire ton expérience cinématographique, sympa l’aventure, perso, j’ai bien aimé, belles images, egalement sur la “Beaume” je ne la connais pas, car Lozérien, et maintenant un peu Ardéchois (mon épouse l’est), et, à l’avenir amené à monter en Ardèche plus souvent.

    Donc c’est toi qui discute avec le vigneron ….. le Jaquet j’en ai entendu parlé à l’époque de ce cépage, il y avait aussi le “Clinton” du “brutal” il paraît…..trop jeune à l’époque pour y goûter…

    Bravo quand même pour ta participation à Season, de trés belles images

    cordialement

    René

  2. Tu ne t'y es peut-être pas arrêté, mais je voudrais quand-même savoir ce qu'il y a au beau milieu des faisses !? 😯

  3. 4 abricots sans doute nés dans la Drôme et arrachés à leurs familles dés leur plus jeune age, le teint pâle, sans gout. Conduits de force à la Capitale en attendant la rançon ils furent relâché après un dernier voyage vers le sud dans le coffre d'un véhicule de location, toujours aussi pâles, toujours aussi fades…
    … manquerait plus qu'ils aient chopés les oreillons ! 😯

  4. Mème si ça casse pas deux pattes a un canard, ça valait bien un genou, surtout un droit 😉
    Y’aura falu un trucage video pour que je vois le chat prendre un poissons!!!! 😯

    Merci Thierry pour le partage, une belle incursion du sud et du soleil dans ce début d’hiver mausade 😉

  5. Heeeuuu ! Tu as inventé les ratés, les décrochés, mais aurais tu oublié les cassés qui eux sont bien réels 😎